
Brigitte Bruyninckx, administratrice déléguée de la chaîne de magasins bio Sequoia, ne craint pas la concurrence croissante de la grande distribution. Pour Geoffroy Gersdorff, secrétaire général de Carrefour Belgique, les grandes enseignes sont là pour rendre le bio accessible au plus grand nombre.
Les aliments biologiques remplissent un nombre toujours croissant d’assiettes. Depuis plusieurs années, le commerce bio a le vent en poupe. Et intéresse de plus en plus les ténors de la grande distribution. Il garde toutefois une belle marge de progression. En Belgique, la consommation d’aliments bio ne représente encore que 3,2 % de l’ensemble des produits alimentaires. A titre de comparaison, la part de marché du bio est de 9,7 % au Danemark et de 8,6 % au Grand-Duché.
Carrefour Belgique vient de confirmer son intention d’ouvrir son premier supermarché 100 % bio d’ici juin 2019. Cette concurrence à la chaîne Bio-Planet de Colruyt va-t-elle lancer une guerre des prix sur ce créneau? Geoffroy Gersdorff, le secrétaire général de Carrefour Belgique, calme le jeu : la distribution permet de rendre le bio accessible partout, mais il ne s’agit pas de le faire aux dépens des producteurs.
Nous avons réuni autour d’une table Geoffroy Gersdorff et Brigitte Bruyninckx, cofondatrice et administratrice déléguée de Sequoia. Un débat à fleurets mouchetés au cours duquel les interlocuteurs se sont surtout attachés à souligner la complémentarité de la grande distribution et des chaînes spécialisées dans le bio.
Les chaînes spécialisées sont-elles des concurrents ou une source d’inspiration pour Carrefour ?
Geoffroy Gersdorff – Nous sommes plutôt complémentaires. Aujourd’hui, le client recherche des produits qui ont le moins d’impact possible sur l’environnement et sur leur santé. Nous avons toujours vendu du bio. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de présenter une offre qui répond à l’ensemble des besoins des consommateurs. Les magasins spécialisés vont bien sûr un pas plus loin que nous. L’offre y est encore plus pointue. Nous sommes mécaniquement concurrents parce que nous sommes sur le même créneau, mais je ne suis pas convaincu que nous touchons exactement le même type de clientèle.
Brigitte Bruyninckx – Nous sommes ravis que la grande distribution s’intéresse au bio. Quand Sequoia s’est ouvert il y a trente ans, nous étions considérés comme des mangeurs de graines ou des soixante-huitards attardés. Alors que ce projet partait d’une conviction, celle de se dire qu’il faut manger autrement, proposer à nos enfants des produits sains, tout en respectant les producteurs et en veillant à la traçabilité.
Voir la grande distribution s’intéresser au bio témoigne d’une prise de conscience. Ceux qui se mettent au bio par le canal de la grande distribution finiront immanquablement par venir chez nous, parce que notre offre est constituée de produits plus pointus, et parce que le service offert est différent.
Qu’est-ce qui peut inspirer Carrefour dans les magasins spécialisés ?
GG – Tout d’abord l’offre en tant que telle, qui est importante. La communication aussi, la façon dont ils s’adressent aux clients et dont ils créent autre chose que la simple association ‘un produit, un prix’. La notion sous-jacente de coopérative, de réseaux autour des magasins, est pour nous une source d’inspiration.
La clientèle des magasins spécialisés a-t-elle évolué ?
BB – Oui. Au départ, nos clients étaient des convaincus de la première heure, ou des gens qui avaient des soucis de santé et qui ne trouvaient pas d’offre spécifique (sans gluten, sans lactose…) dans la grande distribution classique. Aujourd’hui, notre panel est plus large. Par contre, pour quelqu’un qui ne s’y connaît pas, c’est difficile d’entrer dans un magasin bio parce que tout le référentiel tombe. Si vous entrez dans un supermarché classique, vous savez si vous préférez le Coca-Cola ou le Pepsi. Quand vous arrivez dans un magasin bio, il n’y a pas une seule marque que vous connaissez.
Les mauvaises langues disent souvent que le bio est onéreux et réservé à une certaine élite…
GG – Je crois qu’il y a une prise de conscience de la juste valeur des choses. Le tout gratuit n’a pas beaucoup de sens et le pas cher cache quelque chose. C’est un des freins à l’achat de bio. L’objectif n’est pas de dévaloriser la filière de production, d’appauvrir les producteurs.
Certes, le bio est plus cher que le conventionnel. L’objectif n’est certainement pas d’étrangler la chaîne de production en ramenant les prix au niveau des produits conventionnels, mais au contraire de valoriser les produits bio. Nous avons eu pas mal de discussions avec les syndicats agricoles et avec les filières, qui n’ont qu’une crainte: que nous tentions de faire baisser les prix. Dans certains cas, nous l’avons fait, mais en le prenant sur notre marge.
Pour une chaîne comme Sequoia, des contrats à long terme sont sans doute plus compliqués. Comment procédez-vous ?
BB – Nous avons des liens privilégiés avec les producteurs. Nous favorisons nous aussi le circuit le plus local possible. Ces liens privilégiés existent depuis longtemps. Mais les producteurs se positionneront peut-être à un moment donné par rapport à la distribution. Nous risquons alors d’être confrontés à des questions.
Les ventes de produits bio sont en croissance régulière depuis 2008. En 2017, les consommateurs ont dépensé 632 millions d’euros. Jusqu’où cela peut-il aller ?
GG – La croissance est là, et je pense qu’elle va s’accélérer dans les années à venir, ne fût-ce que par la dynamique de l’ensemble des enseignes spécialisées, mais aussi par l’offre de plus en plus conséquente de la distribution. Nous devons être capables de répondre à la demande, tout en évitant de tomber dans les mêmes travers que l’agriculture conventionnelle. De grandes monocultures, d’énormes productions, ce n’est pas ça le bio.
Une étude française a révélé que le prix du panier bio est 28 % moins cher dans les grandes surfaces classiques. Comment les magasins spécialisés peuvent-ils réduire cet écart ?
BB – Il faut savoir de quoi on parle. Il est très difficile d’établir un panier de référence. Cela dépend du type de produit que l’on prend dans chaque catégorie, des exigences de fabrication qui sont derrière. Même chez nous, pour un même article, on peut avoir des prix très différents. Je ne sais pas quelle est la politique de prix de Carrefour pour les fruits et légumes par exemple, mais je pense qu’ils sont lissés sur une plus longue période que chez nous. Chez nous, les prix des fruits et légumes varient tous les jours. Les comparaisons sont donc très difficiles.
Peut-on schématiser en disant que la grande distribution attire de nouveaux consommateurs de bio et que les magasins spécialisés attirent les convertis ?
BB – Pour des personnes qui ne s’intéressent pas au bio, la force de communication d’un Carrefour peut inciter certains à se dire pourquoi pas. Comme nos clients vont eux aussi dans de grandes surfaces classiques, il y achèteront du bio, forcément. Et inversement, nous espérons que les personnes qui seront sensibilisées au bio grâce à la grande distribution viendront chez nous pour acheter des produits qu’ils ne trouvent pas dans les supermarchés.
GG – De toute manière, c’est le client qui, in fine, choisira. A nous de l’aider à poser les bons choix. Aujourd’hui, le client a bien compris que sa consommation a un impact sur sa santé, sur l’environnement local. A nous de l’aider dans ses choix.
La grande distribution a toujours contribué à démocratiser et à rendre accessible au plus grand nombre des choses qui auparavant n’étaient accessibles qu’à une élite. Avec les produits bio, et de façon générale une alimentation plus saine, on donne au consommateur la possibilité d’avoir accès au meilleur.
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Source: L’Echo
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