
La robotisation des récoltes est le prochain défi technologique de l’agriculture. La société belge Octinion a mis au point un robot capable de cueillir des fraises aussi bien et aussi vite qu’un homme.
Rubion attrape délicatement la fraise avec sa pince. Il est un peu plus lent qu’un humain… mais il peut travailler plus lontemps.
Rubion attrape délicatement la fraise avec sa pince. Il est un peu plus lent qu’un humain… mais il peut travailler plus lontemps. – D. R.
L’« exploit » a été salué par la presse britannique : le week-end de 1 et 2 juin, un robot, conçu par l’université de Plymouth, a réussi à cueillir… une framboise. Il a quand même fallu de longues secondes à « Robocrop » pour scanner le fruit, juger de sa maturité, le saisir délicatement dans sa pince et le déposer dans un récipient. Si des expériences de ce type ont été menées – sans grand succès – ces dernières décennies, le développement des technologies (scanners, lasers, caméras et imprimantes 3D, intelligence artificielle…) a remis la robotisation de la cueillette au goût du jour. De nombreux prototypes destinés à récolter des pommes, des tomates, des citrons ou des framboises ont vu le jour.
Mais c’est une société belge qui semble avoir pris une certaine longueur d’avance. Depuis le mois de février, la louvaniste Octinion commercialise un robot cueilleur de fraises. « Rubion » (c’est son nom), a demandé cinq ans de recherche et développement, « pour un investissement total d’environ sept millions d’euros », explique Tom Coen, administrateur-délégué d’Octinion. Qui ne craint pas la concurrence du robot anglais. « Ils disent qu’ils cueillent une framboise toutes les dix secondes », précise-t-il. « Nous sommes à cinq secondes et on s’approche des quatre secondes. Ce qui est important, c’est le “picking cost” (le coût de cueillette, NDLR) par baie. Or une fraise pèse entre 15 et 35 grammes, quand une framboise fait moins de 5 grammes. Faites-le calcul. »
A cinq secondes la fraise, le « picking cost » de Rubion est déjà compétitif par rapport au cueilleur humain (qui prend environ trois secondes), assure Tom Coen. Selon lui, la performance de son robot vient du fait que les développeurs d’Octinion sont partis d’une feuille blanche. « Dès le départ, nous nous sommes posé la question, non pas de la faisabilité technologique, mais de la faisabilité économique », poursuit le patron. « Nous n’avons pas adapté un robot industriel existant : nous avons dessiné nos composants, ce qui nous a permis de considérablement limiter les coûts et d’augmenter la vitesse. C’est pourquoi notre robot est compétitif. »
Culture hors-sol
Guidé par un triple système de caméras (une pour regarder chaque rangée et une troisième pour décider où déposer la fraise dans le cageot), Rubion est équipé d’un bras pensé rien que pour lui. « C’est la clé du succès », estime Tom Coen. « Notre robot a moins de degrés de liberté qu’un robot industriel standard. Grâce à cela, vous pouvez le diriger beaucoup plus vite parce que vous devez faire moins de calculs pour optimiser le geste. » Comme le ferait un homme, Rubion juge de la maturité d’un fruit en fonction de sa couleur, puis sa pince saisit la fraise par le bas, tourne à 90 degrés ce qui permet de limiter la force de traction nécessaire pour détacher le fruit et le déposer délicatement dans un ravier. On notera que les robots d’Octinion sont destinés à la culture hors-sol, principalement en serres – qui concurrence de plus en plus la culture en pleine terre.
Pour l’heure, trois exemplaires de Rubion sont sur le terrain « pour optimiser la présentation des fruits dans les raviers », ajoute encore Tom Coen, qui espère livrer ses premières machines l’an prochain à des exploitants qui seront sensibles à cet argument de réduction du coût de la main-d’œuvre. Mais pas que. « Le principal argument n’est pas tant le coût du travail que le manque de main-d’œuvre », selon le patron d’Octinion. De fait, dans de nombreuses régions du monde, il est de plus en plus difficile de trouver des cueilleurs. Que ce soit en raison de la désertification des campagnes en Chine, de la politique d’immigration plus restrictive aux États-Unis ou de la perte d’attractivité du Royaume-Uni en raison du Brexit.
Main-d’œuvre des pays de l’est
« C’est partout pareil, plus personne ne veut faire ce type de travail », reconnaît Pascal Bolle, qui possède la plus grande exploitation maraîchère de Wallonie (200 ha) à Gerpinnes, et qui est un des principaux producteurs de fraises. « Donc aujourd’hui, on importe beaucoup de main-d’œuvre (il occupe 150 saisonniers, NDLR) des pays de l’est, comme la Roumanie ou la Pologne. Mais même ces pays-là vont continuer à se développer, et on va se retrouver dans la même situation en devant aller chercher des gens encore plus loin. Alors qu’un robot, ça travaille jour et nuit, ce n’est jamais malade, ça ne rouspète pas », ajoute-t-il en boutade. « La performance d’un travailleur dépend de son expérience », note Tom Coen. « Avant, un même travailleur revenait au même endroit plusieurs années. Vous aviez des cueilleurs de fraises expérimentés qui étaient très rapides. Ce n’est plus le cas, ce qui accroît le coût au kilo. Du coup, l’intérêt pour le robot augmente. »
De fait, Pascal Bolle s’attend à ce que ce type d’engin cueilleur s’impose « dans les dix prochaines années ». « Le jour où on me fait une démonstration et que ça marche, si la main-d’œuvre me coûte un million et le robot 950.000, c’est sûr que je vais me poser la question », concède l’agriculteur gerpinnois. « On est tous pareils. » D’autant que Pascal Bolle s’attend à ce qu’une fois au point, la technique s’élargisse à d’autres fruits et légumes. Un marché dont Octinion espère bien profiter, puisque l’entreprise, toujours familiale, prépare un tour de table auprès d’investisseurs pour poursuivre ses recherches vers la cueillette des framboises et des tomates. « Les robots sont plus rentables sur les cultures sélectives », explique Tom Coen. « Sur les pommiers par exemple, la période de récolte est plus courte : vous avez peu de temps pour rentabiliser un robot parce que l’agriculteur ne fait que deux ou trois passages. Alors qu’avec des fraisiers, vous passez 20 ou 30 fois. »
Source: Le Soir
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